Seascapes[1]

[ . . .] wwwwwwwwwww<wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww A l’horizon des horizons de Sugimoto, c’est à dire à leur infini, on sait/sent que le regard ne rencontrera pas le moindre détail, présent pour lui même, qui viendrait détourner la conscience de la mer perçue dans sa globalité en la conscience d’un élément la composant.

[ . . . ] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Nous sommes face à cette image et face à un espace indéterminé qui se laisse comprendre comme un infini, un entre deux dont on ne peut percevoir précisément (et pour cause) les limites qu’il présuppose et que l’on pourrait dire un « entre ciel et mer ».

Cet « entre » est un « même pas lieu » où tous les possibles, toutes les apparitions, celle de l’homme comme celle du végétal, celle du moindre écueil comme celle de l’île, peuvent prendre jour. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Il est ce (non)espace toujours plein qui se redistribue infiniment et indéfiniment d’où toute réalité peu surgir, il est le vide qui s’ouvre à même le plein (ici de l’image), donnant ainsi ouverture potentielle à ce qui, sans jamais en finir, emplit le plein. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . .]

 

Tradition picturale asiatique

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Manque

[ . . .] reste, malgré tout, au sein même de la représentation, la forte impression d’un manque. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Manque difficilement cernable que l’on serait tenté d’attribuer à l’absence de vie si le souvenir d’autres photos de mer, signées par d’autres photographes, ne produisait pas un effet contraire. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . .]

Après un premier regard sur l’ensemble, on remarque que la répétition d’un même motif ne diminue en rien l’impact de chaque photographie. Les variations que présente chaque image assurent une diversité à l'ensemble tout en lui gardant sa cohésion d'unité constituée de l'addition du même - pourtant toujours différent. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . .]

La série ne comble pas un manque de sens, ni ne surajoute du sens au sens déjà présent en chaque image. Elle ne participe pas, non plus, à la re-construction d'une réalité que la photographie, toujours décontextualisante, serait incapable de rendre. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . .]

Sugimoto joue de l’excès. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww En effet, l’excessive rigueur du positionnement de la ligne d’horizon se dissout par la banalisation que produit la série (elle-même excès). wwwwwwwwwww Cependant cette dissolution n’est possible que parce qu’elle s’opère, déjà, au sein même de cet artifice : cette égale partition, par trop de perfection, donc par absence de contre point, finit, elle aussi, par se dissoudre. wwwwwwww [ . . .]

Ici encore, la déconstruction s’opère en amont ; la frontalité, par son absence d’effet de perspective, tout en étant un maximum de composition se donne comme une absence de composition. Ainsi, elle semble être une absence d’intervention du photographe sur son image alors, que la rigueur qu’elle implique, la dénonce comme un excès d’intervention (se dissolvant lui aussi dans la série). wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . .]

 

Retrait

[ . . .] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww La récurrence des modalités de prise de vue (cf. la mise en série) tend à faire oublier ces mêmes modalités, principalement la frontalité qui, elle aussi mais à sa manière, joue un rôle important dans l’anéantissement de la perception de composition :

L'image frontale présente son référent en l'absence de tout discours. Ici pas de fuite possible dans une perspective qui engagerait à la narration. De plus, parce que trop composée, elle apparaît comme une image non composée, comme une image brute directement issue du réel sans aucune intervention du photographe qui ainsi disparaît un peu plus au profit d'un accroissement de la crédibilité de la photographie, accréditant, ainsi, le mythe de sa transparence et, par-là, de la mise en présence du référent. wwwwwwwwww [ . . .]

De fait, quelles que soient les choses que nous donne à voir Sugimoto, elles semblent se présenter d'elles-mêmes. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Elles sont là. Nous pourrions presque dire : elles sont là, présentes, telles qu'en elles-mêmes, comme autant de preuves d'elles-mêmes[2], et l'on pourrait poursuivre en disant que ce n'est pas Sugimoto qui prend en photo la mer mais la mer qui se donne à la photographie.

 

Style documentaire

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Time Exposed

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« Sensei »

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Vide Et Art

[ . . .] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Les procédures, que Sugimoto utilise, marquent une filiation directe avec Walker Evans qui apparaît, ici, par ce que l’on pourrait appeler une transgression de la transgression, ou une déconstruction (au sens derridien) de l’opposition art/document, comme un des fondateurs de la photographie contemporaine.

Ni art, ni document, ces photos ne se posent pas comme résolution de l’opposition mais, plutôt, constituent une convocation de ces deux termes en un jeu autrement plus riche que la seule substitution de l’un par l’autre. www Sugimoto ne prend pas parti, ses photos sont plus de l’ordre de l’indécidabilité entre art et document que de l’ordre du choix en faveur de l’un ou l’autre ou encore que de la synthèse entre ces deux termes. wwwwwwwwwwwwwwww Elles se présentent comme une mise à jour de l’opposition, comme le lieu où se joue cette opposition et comme cette opposition même, mimant, par là, sa fondation sans pour autant se prendre pour son fondement.

Cette indécidabilité, sans s’apparenter à un terme neutre (ni ceci, ni cela) ni à un terme complexe (ceci et cela), doit s’entendre positivement, la non-prise de position que ces photos semblent dénoncer comme possible n’est pas le fait du non-décidable, elle est le fruit d’un choix qui vient suspendre la contradiction. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Elle oscille entre le « et, et » du complexe et le « ni, ni » du neutre, et crée un véritable espace discursif, vide de toute détermination, qui creuse sans fin un écart entre les deux extrêmes de l’opposition.

Ici, il est assez tentant de faire appel aux « Seascapes », celles où la bipartition se montre elle aussi indécidable …  Mais peut-être plus que cette indécidabilité imagée, la répétition et la différence, autrement dit le travail sur le même et l’autre, qu’est cette série (à jamais incomplète) se pose comme archétype de la déconstruction, les « Seascapes » sont, sans jamais être la même image, une même image. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Chaque photo appelle sa suivante, suivante qui ne fera que creuser un peu plus l’écart et qui elle même appellera son autre en une spirale sans fin qui se déploie dans le vide qu’elle crée au cours même de son développement.

Sugimoto touche à l’infini que touche le mathématicien qui entreprend l’exploration de la zone qui s’étend entre deux nombres réels. Ses « Seascapes » sont l’exemple même de ce que l’on pourrait appeler une logique du vide : chaque tentative qui voudrait combler l’écart entre deux images le creuse un peu plus. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . . ]

Dans le dénuement de ses paysages marins, Sugimoto produit une œuvre libre de toute détermination, une œuvre de totale liberté où tout les possibles peuvent prendre jour dans le vide qui la constitue. wwwwwwwwwwwwwwww [ . . . ] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Ainsi les potentialités, ouvertes à l’horizon des horizons de Sugimoto, ne sont pas à investir dans la perspective d’une « pensée dirigée vers », ce qui serait, d’une certaine manière, une façon d’impliquer son moi, de le réaliser à travers le vouloir. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Elles sont invitation à « l’attente véritable » - attendre quelque chose, c’est-à-dire attendre en se représentant l’objet de l’attente, c’est déjà convoquer cet objet devant nous, c’est déjà ne plus l’attendre et c’est surtout réduire à une seule instance le champ des possibles à venir.

L’attente véritable ne vise aucun objet, elle est ouverture à tous les possibles. Elle est invitation au vide. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . .]

Mais le vide (ou le penser non pensé ou encore la vacuité) ne doit être qu’un concept opérationnel qui permet de ne plus surajouter à la perception du monde les concepts de temps, d'espace et de relation de causalité. wwwww [ . . .]

 

Auto-référentialité et spécificité

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Critique

[ . . .] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww De Cage aux Devautour en passant par Beuys et Filliou, chacun empruntant des voies différentes, ces artistes semblent vouloir libérer l’art de la présence du moi héritée, au plus fort de la crise, de l’expressionnisme.

Par son retrait, son absence d’intention manifeste d’art, Sugimoto s’inscrit dans cette lignée. Comme eux, il  nous assure que, si l’artiste est présent dans son œuvre, c’est en tant que premier récepteur plutôt que génial créateur.

Pour ce faire, Sugimoto travaille, à différents niveaux, la question du vide. Toutefois, ce n’est certainement pas dans l’acception courante de négation ou d’absence qu’il faut entendre, ici, ce mot mais plutôt, comme le résumait Suzuki, dans le sens de plénitude.

Or cette plénitude est peut être ce à quoi l’art, nous arrachant à l’oubli dans lequel parfois nous nous enfonçons, peut nous ouvrir.

Elle est pure expérience, c’est à dire expérience libre de tout présupposé.

Elle est ouverture …

Elle est vide.



[1] Hiroshi SUGIMOTO, Time exposed, Bale, Kunsthalle Basel, 1995, tr.angl. par David Britt, Time Exposed, Londres, Thames & Hudson , 1995. retour

Sugimoto présente chaque photo avec, en référence, le lieux et la date de prise de vue (par exemple : black sea 1992), ce que je n’ai, malheureusement pas pu faire ici. D’autant plus malheureusement, car il y va de la perception même de ces photographies qui,  par cette mise en titre, perdent le caractère de photo personnelle que l’on pourrait, éventuellement, leur attribuer.

[2] Ce qui est, habituellement, le cas des portraits photographiés frontalement. retour

 

Time Exposed – Sugimoto